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Paturage extensif / Biodiversité / Mesure
Comment
"mesurer" la biodiversité d'un site naturel.
Mesurer
la biodiversité : pourquoi ?
Parce
qu'il est nécessaire d'objectiver l'impact du pâturage sur la
biodiversité d'un site en vue d'en adapter le plan de pâturage en cas
de stagnation ou de diminution de la biodiversité du site :
modification du type ou du nombre d'animaux, de la charge, de la
période de pâturage...
Mesurer
la biodiversité : par qui ?
Par
les scientifiques en charge du suivi des sites de hautes valeurs
biologiques (par exemple le DEMNA en Région wallonne). Mais vu leur
charge de travail, ils risquent de tirer la sonnette d'alarme trop tard
(constat d'une forte dégradation lors d'une visite triennale voire
quinquennale pour certains sites).
Il faudrait également une
évaluation continue, certes moins fouillée et détaillée que le bilan
pluriannuel des scientifiques. Cette évaluation continue ne doit pas
être trop complexe, ni trop lourde, afin que le gestionnaire puisse la
réaliser lui-même. Ce dernier peut alors ajuster rapidement le pâturage
de son troupeau en cas de dégradation de la biodiversité du site qui
lui est confié. C'est sur ce type de "monitoring" que nous allons
réfléchir ci-dessous.
Mesurer
la biodiversité : comment ?
Ce
texte est largement inspiré des réflexions et discussions menées dans
le cadre du mémoire en vue de l’obtention du titre de Bachelier en
Agronomie - Finalité Environnement - Année académique 2012-2013 :
« L’impact du pâturage extensif sur la biodiversité au niveau
des
berges » réalisé par Coralie HUBERTY, étudiante à la Haute
Ecole
de la Province de Liège - Département Agronomique - La
Reid , maître de stage Emmanuelle CHAVET, encadrement Marc PHILIPPOT,
professeur superviseur Eric CASAGRANDE.
NB
: Pour une application et une comparaison des 4 méthodes décrites
ci-dessous, voir : paturage_berges
Première
idée : la méthode de l'inventaire.
Faire
un inventaire complet (liste I) des espèces et des habitats du site.
Ensuite les compter (nbr(I)): ce nombre représenterait la biodiversité
du site.
Biodiversité_inventaire
= nbr(I)
C'est
la méthode scientifique classique de « mesure de la
biodiversité » qui comporte de nombreuses variantes (voir
remarques).
Critique
:
- Faire
un inventaire complet est illusoire. C'est un travail titanesque et
impossible à réaliser pour un gestionnaire. Il faudrait faire défiler
une dizaine de scientifiques (botaniste, entomologiste, ornithologue,
mycologue...) sur le site, avec au minimum une dizaines de
passages à différentes saisons...
- La
lourdeur de la tâche et sa durée de réalisation ne permet pas une
réaction rapide en cas de dégradation.
- Chaque
espèce ou habitat compte pour un point, or toutes les espèces et
habitats n'ont pas la même valeur scientifique ou légale (statut de
protection).
- Certains
habitats de grand intérêt comportent naturellement peu d'espèces (ex :
tourbière) mais avec certaines de ces quelques espèces qui sont très
rares. Ils obtiennent avec cette méthode de comptage un score médiocre
alors que ce sont des sites exceptionnels !
>
www.observations.be
est un portail informatique d'encodage
d'observations d'espèces en Belgique.
Ce portail totalise 33000 espèces
susceptibles d'être observées dans le pays.
Le meilleur naturaliste y a observé 4377 espèces. Les naturalistes moyens parviennent à
identifier 330 espèces...
Remarque :
Il existe des méthodes
dérivées simplifiées qui sont basées non pas sur le comptage d'espèces,
mais sur le comptage de genres, familles ou ordres, elles sont moins
coûteuses et plus rapides mais ne peuvent être réalisées que par de
bons taxonomistes ! Elles restent donc hors de portées du gestionnaire.
Deuxième
idée : la méthode des raretés.
Ne
faire l'inventaire que des espèces rares (liste R) et des habitats
rares trouvés sur le site. Ensuite les compter (nbr(R)), avec
éventuellement une pondération selon leur rareté : ce nombre
représenterait la biodiversité du site.
Biodiversité_rareté
= nbr(R)
C'est la méthode des naturalistes : tel site est intéressant car il
recèle telles raretés.
Critique
:
- L'identification
des raretés reste du domaine des scientifiques. Un
gestionnaire
bon naturaliste pourra en repérer certaines... mais en manquera de
nombreuses !
- Les
raretés sont plutôt un résultat de bonne gestion qu'un objectif
opérationnel. Les raretés peuvent dépendre d'autres sites, de
conditions climatiques, de la faible taille de leur population... Ce
n'est pas le mieux pour faire le lien entre pâturage et biodiversité,
trop d'autres facteurs peuvent interférer.
- Il
faudrait également tenir compte de leur abondance sur le site. Avec
cette méthode il faut attendre la disparition d'une espèce rare pour
voir décroître le nombre représentatif de la biodiversité du site :
c'est trop tard pour réagir et sauver l'espèce.

Trois papillons rares présent sur la RND du Moulin de la Fosse :
Nacré de bistorte, Nacré de la sanguisorbe et Petit collier argenté.
Difficile de les distinguer pour un amateur !
Troisième idée : la méthode des
bio-indicateurs.
Méthode imaginée par Marc PHILIPPOT.
Une première partie du travail est confiée aux scientifiques :
Dresser
la liste des habitats les plus intéressants du site dans une
perspective de conservation de la nature au niveau local, régional ou
européen. Pour chacun de ces habitats dresser trois listes :
- liste
D (Dégradation) : liste des espèces indicatrices de la dégradation de
cet habitat (espèces typiques des friches, terrains vagues, coupes
forestières, sites rudéralisés...) ;
- liste
Q (Qualité) : liste des espèces indicatrices du bon état de cet habitat
;
- liste
R (Rare) : liste des espèces rares susceptibles de se retrouver sur cet
habitat ;
Le
travail de relevé est confié au gestionnaire :
Il
coche sur les trois listes les espèces présentes. Ensuite, il les
compte sur chaque liste : nbr(D), nbr(Q) & nbr(R). Il peut
ensuite
calculer la biodiversité selon la formule (les espèces de la liste D ne compte que pour 0.5pt) :
Bio-indicateurs = nbr(Q) + nbr(R)
– nbr(D)/2
Ce
qui permet de voir s'il y a bien d'année en année augmentation du
nombre d'espèces cochées sur les listes Q & R et régression du
nombre d'espèces cochées sur la liste D.
Critiques
:
- Si
le site comporte plusieurs habitats le gestionnaire risque de se
retrouver avec beaucoup d'espèces à identifier.
- Il
faut attendre l'apparition ou la disparition d'espèces pour voir une
modification du nombre d'espèces cochées. Cela risque d'être trop
tard... Il vaudrait mieux travailler avec l'abondance des espèces des
différentes listes.
- Le
score dépend de la taille des listes...
Quatrième
idée : la méthode de l'indice de qualité d'habitat (IQH).
Méthode imaginée par Coralie HUBERTY et retravaillée par Marc PHILIPPOT.
Pour
chaque parcelle pâturée, toujours travailler avec les trois listes
ci-dessus, mais en les synthétisant pour l'ensemble des habitats de la
parcelles de manière à ce que chaque liste ne comporte qu'une dizaine
d'espèces (voir plus bas les critères de choix pour les espèces à
retenir). Le gestionnaire relève l'abondance de chaque espèce des
listes Q & D ; il coche simplement les espèces présentent sur
la
liste R.
Pour les plantes des listes Q & D, on utilise les coefficients
d’abondance décrit dans la méthode Braun-Blanquet :
5 :
Recouvrement > 3/4 de la surface de référence (> 75%)
4 :
Recouvrement entre 1/2 et 3/4 (50–75% de la surface de référence)
3 :
Recouvrement entre 1/4 et 1/2 (25–50% de la surface de référence)
2 :
Recouvrement entre 1/20 et 1/4 (5–25% de la surface de référence)
1 :
Recouvrement < 1/20, ou individus dispersés à couvert jusqu’à
1/20 (5%)
0 :
Espèce absente.
Pour
les animaux, on peut également définir des tableaux comme pour les
plantes, selon le nombre d'individus observés sur un laps de temps
déterminé, en définissant précisément les conditions d'observation et de
comptage.
Nous pouvons calculer l'abondance d'une liste selon la formule :
abond(Q) = somme des coefficients d'abondance de chaque espèce de la
liste Q.
idem pour la liste D
La liste R ajoute 0.5 pt de bonus par espèces présentes à l'abondance
de la liste Q.
On peut alors calculer un indice de qualité de l'habitat (IQH) :
IQH = ( abond(Q) + nbr(R)/2
) / ( abond(D) + abond(Q) + nbr(R)/2 )
Il
représente le rapport entre l'abondance des espèces typiques de
l'habitat en bonne santé (Q + R/2) et l'abondance totale des espèces indicatrice de l'habitat (D + Q + R/2).
IQH
est compris entre 0 et 1, on peut le multiplier par 100 pour l'exprimer
en % . 0% correspond à un site totalement dégradé. 100% correspond à un
site de qualité parfaite. Dans la pratique, les sites fortement
dégradés peuvent descendre à 14%, tandis que les sites riches en
biodiversité peuvent monter à 80%.
Critères
de sélection des espèces de la liste Q :
- Espèce
typique de l'habitat ;
- Espèce
ayant une certaine abondance au niveau régional pour ce type d'habitat
(pas quelques pieds sur quelques sites) ;
- Espèce
facilement identifiable, ou alors les globaliser au niveau genre (ex :
bécassine des marais/sourde), famille (ex : papillons de type
nacré/argus/cuivré) ou ordre (ex : criquets/sauterelles) ;
- Espèce
visible et peu sensible aux conditions météo du relevé, afin de
facilement déterminer son abondance ;
- Espèce
sensible à la fois au manque et à l'excès de pâturage ; ou alors
veiller à prendre autant d'espèces sensible uniquement au manque de
pâturage que d'espèces uniquement sensible à l'excès de pâturage ;
- Espèce
étant une plante hôte ou une proie pour des espèces rares ;
- En
complément à ce dernier critère, il serait judicieux d'ajouter à cette
liste les micro-habitats intéressants pour les espèces rares (ex :
abondance de haies, d'arbres morts, de touradons, de floraisons
printanières, de perchoirs, de tas de pierres...)

Exemple de plante de la
liste Q : la renouée bistorte.
Critères
de sélection des espèces de la liste D :
- Espèces
typiques des friches, terrains vagues, coupes forestières, sites
rudéralisés... (ex : ortie)
- Espèces
invasives ou envahissantes, fortement couvrantes et se multipliant
rapidement (ex : balsamine de l'Himalaya).
- Espèces
tenaces et difficiles à faire régresser (ex : ronces).

Exemple de plantes de la
liste D : la Balsamine de l'Himalaya (sur la rive gauche)
et la Reine-des-prés (en arrière plan)
Critères
de sélection des espèces de la liste R :
- Espèce
rare au niveau régionale pour laquelle il existe une forte probabilité
de retrouver quelques individus sur cet habitat (NB : si elle est
généralement abondante sur son habitat la mettre plutôt sur la liste Q)
;
- Espèce
rare visible et facilement repérable.
- Espèce
rare ne pouvant être confondue avec une espèce commune.

Exemple de plante de la
liste R : l'orchis tacheté
Critiques
:
- Dépend
fortement du choix des espèces des listes Q, R & D : gros
travail
de recherche et de validation à mettre en place par les scientifiques ;
- Le
gestionnaire devra être formé à l'identification des espèces des trois
listes ;
- L'abondance
est estimée « à l'oeil » et apporte de la
subjectivité à la
méthode, nous conseillons de travailler avec des photos de références
et des notes écrites afin de faire des comparaisons d'années en années
de l'évolution de l'abondance de chaque espèce.
- L'indicateur
final IQH ne permet pas de détecter la régression d'un habitat au
profit d'un autre sur la parcelle, mais cela peut se déceler via
l'évolution de l'abondance de certaines espèces (il faut aller revoir
les relevés d'abondance en détail).
Texte :
Coralie HUBERTY & Marc
PHILIPPOT - Photos
: Marc PHILIPPOT - Version du 29/12/2014